Lâchers de balises printemps 2018
Cap au sud : la Camargue
Les Grandes Cabanes
Lors d’une conversation, Kévin Le Rest, responsable des Réseaux Bécasse et Bécassines, m’indiqua qu’il souhaitait installer des balises sur des oiseaux hivernants plutôt que sur des oiseaux en migration et dont on ignorerait les lieux d’hivernage. Immédiatement, une idée me frappa. « Le seul endroit où tu seras sûr de cela, dis-je, c’est la Camargue. Là, tu auras des oiseaux qui ont arrêté leur migration et qui n’ont pas voulu traverser la Méditerranée. »
Certes, la Camargue n’est pas l’un de nos « terrains de jeu » habituels. Mais l’idée fit son chemin et, parmi les sites retenus pour cette année, il y avait le Domaine des Grandes Cabanes, un territoire acheté par le Conservatoire du littoral et donné en gestion à l’ONCFS. Et comme me dit plus tard Nicolas Croce, ingénieur de l’ONCFS, chargé du Domaine : « Nous assurons la gestion du territoire, mais aussi sa gestion cynégétique. Des chasses y sont régulièrement organisées ». Il y avait sur ce dernier point une évidente fierté dans son discours.
Mais revenons à nos poses de balises. Après la balade chez l’éclusier du port des Callonges, à St Ciers, j’eus à peine le temps de rentrer chez moi que, la semaine suivante, deux jours de captures étaient prévus aux Grandes Cabanes. La Camargue, je l’ai sillonnée dans tous les sens, j’y ai passé des vacances, fait du tourisme et surtout chassé sur de nombreux territoires. Mais pas celui-là.
Dans l’impossibilité de quitter Paris le 20 février, tandis que le reste de l’équipe devait débarquer dès l’après-midi dans les Bouches-du-Rhône, je suivis leurs travaux par e-mails et textos. J’avais deux craintes opposées, la première était qu’ils ne trouvent pas de bécassines et décident de rentrer ; la seconde qu’ils en trouvent assez en deux sorties pour utiliser toutes les balises disponibles. Dans les deux cas, je n’avais plus qu’à annuler mes billets de train et la location de voiture !
Kévin m’appella plusieurs fois, y compris le matin de mon départ et me donna les résultats : ils avaient pris trois oiseaux, mais souhaitaient faire encore une sortie le soir et peut-être le lendemain. Ouf ! Je n’irais pas pour rien.
Passons sur les deux heures en TGV et la location d’une voiture presqu’aussi chère que si je l’avais achetée ! Mais tout est oublié quand je retrouve ce ciel bleu lavande propre à la Provence, aussi clair qu’un saphir de Maradjah. Si beau, si délicat, si... froid aussi, car il est accompagné d’un bon coup de mistral ! C’est la rançon de l’absence de nuages. Je savoure la route poudreuse qui, après Arles, me mène vers les Saintes-Maries. Que c’est beau la Camargue !
Au Château d’Avignon, je tourne à 90° pour entrer dans le chemin qui mène au Grandes Cabanes. Après quelques kilomètres, j’aperçois, couverts de poussière, des véhicules portant le logo ONCFS. Je gare la voiture, Kévin est là, ainsi que François Gossmann, le spécialiste des bécasses, qui vient aider les bécassiniers quand c’est nécessaire. J’ai à peine le temps de sortir mon sac qu’un tas de gens, dont certains sont en uniforme, viennent me serrer chaleureusement la main, comme si nous étions heureux de nous retrouver après une longue absence. Kévin m’a préparé une visite mais m’explique que depuis qu’il est là, il a eu deux ou trois heures de sommeil et doit absolument dormir un peu.
Je suis donc pris en main par Nicolas Croce dont j’ai déjà parlé. Il me fait faire un grand tour du domaine, partie à pied, partie en voiture. C’est splendide ! Des canards passent dans toutes les directions, bien que personne ne les aie dérangés. Il suffit de s’intéresser à un vol de pilets, pour qu’une quinzaine de sarcelles déboulent, plongent et disparaissent derrière la végétation. On passerait des heures à les admirer. Au loin, dans un autre étang, les pattes plongées sur toute leur longueur, des flamants pêchent avec ardeur. De temps à autre, une bécassine décolle d’une flaque et effectue un saut de crapaud qui la propulse dix mètres plus loin. Quel spectacle ! Il y a aussi des taureaux, et mon guide me conseille très sérieusement de m’en méfier. Mais nous ne les rencontrerons pas.
Je ne m’en lasse pas, mais Nicolas regarde sa montre. Il est temps de rentrer et de se préparer, pour aller monter les filets et disparaître des lieux avant le crépuscule.
Que c’est beau !
Kévin a un peu récupéré. De son côté, François Gossmann les yeux rivés sur son ordinateur portable qui lui renvoie des reflets bleus, interroge la météo, de la Sibérie à la Camargue. Il ne va pas faire chaud et le mistral va se maintenir, mais ça va aller. Fort de cette prédiction, nous nous tassons dans les voitures déjà bourrées de matériel et « en avant toute ».
La reconnaissance des lieux les plus accueillants pour les bécassines a été soigneusement faite avant notre venue. Entre hier soir et ce matin, Kévin et François ont capturé plusieurs oiseaux et en ont équipé trois. Tout cela nous rend optimistes.
Les voitures se séparent pour aller poser des filets aux points choisis. Quand nous sortons et suivons la direction indiquée, nous sommes en plein marais. Tous mes partenaires portent au minimum des cuissardes, mais plus souvent des waders. J’avoue que ça m’inquiète un peu, car je n’ai que mes bottes que je trouvais déjà bien encombrantes dans le TGV. En tout cas, je regarde où je marche et essaie de suivre les pas de ceux qui précèdent, vieille précaution apprise naguère en Afrique : ne jamais s’écarter de la marche du pisteur !
Dans l’ensemble, cela passe assez bien, sauf dans un endroit glaiseux où le sol s’obstine à vouloir coûte que coûte retenir mes bottes. Je n’ai guère envie de marcher en chaussettes dans la gadoue. Mais je connais ce coup-là : il suffit de tordre un peu le pied dans la botte et tout vient. Enfin, on s’arrête au bord d’une flaque de quelques centimètres de profondeur. C’est là ! Avec soulagement, les porteurs de piquets et autres filets se débarrassent de leurs fardeaux. Maintenant, il faut les monter. Chacun sait ce qu’il a à faire. Pour moi, c’est uniquement admirer et prendre des photos. Pourtant, j’ai le sentiment que toute l’équipe est contente de ma présence. Ils savent que j’ai fait beaucoup d’efforts pour les rejoindre, que j’ai payé de ma poche le train et la voiture, et que je montre un intérêt considérable pour ce qu’ils font.
Kévin jette un dernier coup d’œil, vérifie la tenue des piquets. Tout va bien, on s’en va. Sur le retour, nous sommes bloqués par une des voitures abandonnée au milieu de la route. ça râle un peu et puis nos collègues apparaissent et nous ouvrent de chemin jusqu’à la maison.
Bottes et cuissardes retirées, un café bien chaud dans la main, on papote en regardant tomber la nuit. D’un côté, cela repose, mais en même temps on voudrait déjà y être, savoir si on a réussi. Kévin donne le départ. Allez, on y va !
Le chemin est parcouru beaucoup plus lentement, car les voitures roulent tous feux éteints. Selon certains agents, la lumière des phares perturbe les animaux et les fait fuir. Ce que réfutent formellement d’autres agents. Dans le doute, la décision a été prise de rouler sans lumière. Au début, c’est un peu inquiétant, mais on se fait très vite à la pénombre. Les yeux s’habituent et puis il n’y a pas d’obstacles sur ces pistes à peu près droites.
Après être sortis des véhicules et malgré « l’obscure clarté qui tombe des étoiles », cela devient un peu plus délicat. On évite mieux les trous de jour que de nuit. Fidèle à ma technique, je suis les pas qui me précèdent. Et soudain, nous sommes aux filets, ils sont juste devant nous. Cette fois les lampes frontales s’allument. Chacun suit son bout de filet. J’aperçois Kévin qui démaille une bécassine. Espérons qu’elle atteigne les 100 g fatidiques. Tout le monde s’affaire sans qu’on sache bien ce qu’il y a comme prises. Le silence n’est pas absolu, mais les paroles sont rares et ne s’entendent pas au-delà du voisin. Une fois les oiseaux mis en sûreté dans des pochons, les filets sont démontés et tout est remporté. La partie est terminée.
Démaillage délicat
Retour aux Grandes Cabanes pour les deux équipes. Il ya deux bécassines qui dépassent les 100 g. En tout, cela en fait cinq. C’est satisfaisant. Dîner rapide et frugal avant de faire les mensurations des deux bécassines, de les appareiller et d’aller les relâcher au bord du marais.
Au moment d’aller se coucher, Kévin a une idée : « Si on prenait un projo et qu’on essaie d’en attraper une ou deux à l’épuisette, comme des bécasses ? » François est tout de suite d’accord, quelques personnes aussi. Moi, je décline, pour plusieurs raisons. D’abord pour réussir avec cette méthode, il n’y a qu’une seule personne qui puisse approcher avec l’épuisette quand l’oiseau est éclairé par le projecteur. Ensuite, les chances de succès dans ces conditions sont plus qu’aléatoires. Quant aux photos, il ne faut pas y penser. Alors, je reste dans la salle commune à siroter du café, avec d’autres gardes. Vers 22 heures, portant l’épuisette à long manche et une lampe surpuissante, les voilà partis. « Juste un petit tour, pour voir », dit Kevin. En fait, ils sont de retour à minuit. Ravis ! Je les ai patiemment attendus en discutant. Leur bilan est d’une bécassine attrapée dont « on ne sait pas le poids, mais elle semble grosse », plus deux, trois bécasses qui ont décollé et une genette qui leur a filé entre les pattes !
François et la météo
La bécassine est immédiatement pesée : 108 g, une vedette ! Une heure plus tard, nous voilà repartis pour la relâcher dans le marais. Fort mécontente, elle refuse obstinément de s’envoler. C’est l’une de leurs attitudes. Soit elles décollent comme des bolides dès qu’elles ne sentent plus la pression de la main, soit elles restent immobiles, font quelques pas et finissent par s’envoler mollement, quand elles ne font pas un saut de crapaud. C’est difficilement explicable et en tout cas pas lié au poids. Les sourdes agissent de même : décollage immédiat ou longuement différé. On le voit chaque année durant la journée de capture de sourdes sur l’Aubrac. Là, il n’y a pas de balise, mais le phénomène est le même.
Enfin, notre vedette ayant décidé d’aller se faire voir ailleurs, nous rentrons. Ici il y a des chambres correctes, des sanitaires. Enfin, ce ne sont pas des éclusiers !
Avec 6 bécassines appareillées, on peut dire que c’est une réussite.
Trois à St-Ciers-sur-Gironde, six ici, nous voilà à neuf. C’est bien mais le temps passe... Il faut absolument que nous poursuivions avant le début de la migration de retour.
PF
En raison de la situation actuelle, la BOURSE DES TERRITOIRES est suspendue jusqu'à nouvel ordre.